Compte rendu de la digitale tech conférence

Compte rendu de la digitale tech conférence

En ce 6 décembre, les plus grands noms de la technologie bretonne se sont donné rendez-vous au Couvent des Jacobins à Rennes pour la tant attendue Digital Tech Conference. La revue IA était présente pour en apprendre le plus possible sur le domaine des intelligences artificielles, et même sur les technologies en général: laissez-moi vous en parler !

Compte rendu de la digitale tech conférence

Tout d’abord, pourquoi la DigitalTech Conference ? Organisée par Poool, Destination Rennes et l’INRIA, son but est d’apprendre à lire les tendances de la technologie, afin de pouvoir mieux se l’approprier. Voyons donc à quel point ce « carrefour des tendances numériques » a tenu ses promesses !

L’IA, c’est quoi ?

En effet, la question se pose. Débarrassons-nous de tous nos préjugés, de toutes les dérives que notre imagination a pu apporter. C’est ce que Jean-Gabriel Ganascia, président du comité d’éthiques du CNRS (Comets), appelle « réactivation des mythes et légendes de transgressions ». Il s’agit du retour du fantasme d’une entité consciente créée par l’Homme, à l’instar du Golem de Prague au XVIème siècle. Celui-ci s’est transformé au XXIème siècle en une peur de la singularité technologique : les Hommes, après avoir vu en Dieu une explication aux mystères de ce qui les entoure, ont fini par apprivoiser leur environnement, jusqu’à devenir eux-mêmes des créateurs de machines qui finiront par se développer et par nous remplacer.

Je vous arrête donc tout de suite: l’intelligence artificielle n’est pas cette entité qui nous remplacera. En réalité, il s’agit d’une science qui ne date pas d’hier : de 1956, lors de la conférence de Dartmouth ! Sa vocation première est la simulation de fonctions cognitives. Le terme important est bien celui de simulation: l’IA reste avant tout un outil. Pour Jean-François Goudou, chef d’équipe d’ingénieurs dans l’entreprise Meero spécialisée dans la photographie (qui a réalisé en juin la deuxième plus grosse levée de fond de l’histoire de la French Tech, avec 230 millions d’euros !), il ne s’agit ni plus ni moins que d’un tournevis. Ainsi, l’intelligence artificielle est la réponse apportée par des chercheurs et ingénieurs à un problème donné (la reconnaissance d’un objet, la maximisation d’un score dans un jeu, ou dans le cadre de Meero rendre des photos prises par des professionnels plus à leur avantage).

Ainsi, Elisa Fromont, enseignante-chercheuse à l’Université Rennes 1, le résume parfaitement. L’idée d’une IA « forte », c’est à dire douée de spontanéité et de raison, n’existe pas: qu’importe à quel point l’IA « faible », qui répond à un besoin en une succession d’étapes, paraît forte, elle ne dépend toujours que de l’intelligence de ceux qui l’ont programmée auparavant. 

Maintenant que nous avons défini ce qu’était – et ce que n’était pas – l’IA, concentrons-nous sur les principaux axes développés lors de la Digitaltech Conference.

L’IA dans le domaine de la santé


La digitaltech conference n’était pas uniquement concentrée sur le domaine des intelligences artificielles. Ses deux autres sujets phares, qui n’ont eu de cesse de se croiser toute la journée, étaient le numérique & la créativité, ainsi que la santé & le bien-être. Laissez-moi vous résumer ce qui a pu être dit au fil de ces conférences.

Le développement de plus en plus rapide de l’IA au cours des dernières années a nécessairement mené à l’idée de son utilisation dans le domaine de la santé. C’est pour cette raison que Microsoft, représenté au cours de cet événement par Michèle Genova-Nguyen dans sa conférence et qui est l’une des entreprises déposant le plus de brevets sur l’IA en France, en a fait une de ses priorités. Selon elle, les intelligences artificielles apparaissent comme la meilleure solution permettant d’atteindre la médecine des 4 P (personnalisée, préventive, prédictive, participative).

Tout cela repose sur l’immense quantité de données qu’il est possible d’obtenir des patients, afin de créer des traitements faits sur mesure pour chacun d’entre eux, comme le souligne également Jaana Sinipuro, directrice de projets des fonds finlandais pour l’innovation. Selon elle, il y a eu une augmentation de 329% du partage des données dans le domaine de la santé, permettant d’accélérer encore la progression des IA. Microsoft tente donc d’exploiter toutes ces nouvelles données afin de les mettre au service de la médecine, mettant un point d’honneur sur la transparence de celles-ci.

Contrairement aux idées reçues, 95% des CHU se disent positifs quant à l’usage d’intelligence artificielle, dans une optique de gagner du temps sur les tâches les plus simples (administratifs, faire un premier tri sur les appels d’urgence). Quant aux patients, Michèle Genova-Nguyen note que la dématérialisation a majoritairement été acceptée avec le temps. Elle pense donc que ce n’est qu’une question de temps avant que l’IA soit acceptée de tous dans le domaine de la santé. Microsoft met déjà au point certains outils révolutionnaires, tel que le projet InnerEye qui a pour objectif de détecter les tumeurs via un nouvel outil de radioscopie tridimensionnel. Ainsi, si les données sont déjà nombreuses, le véritable enjeu des progrès de l’IA dans le domaine de la médecine réside dans son autonomisation et son intégrité, afin que chacun soit conscient des possibilités qu’elle lui offre tout en étant certain de sa sécurité.

Finalement, cela revient à se poser des questions sur les principes que doit suivre l’IA: cela rejoint une nouvelle fois les idées apportées par Jaana Sinipuro qui souhaite que l’Europe (avec le Canada) se concentre sur ces questions, afin de jouir d’une IA efficace et fiable qui facilitera son intégration dans nos vies quotidiennes.

Je tiens ici à faire une parenthèse afin de parler de l’excellent atelier d’Antoine Brachet auquel j’ai eu la chance de participer. Par le biais de l’initiative Brightmirror de la société bluenove, Antoine Brachet nous offre la possibilité d’imaginer un avenir optimiste d’un monde où l’IA fait partie de nos vies quotidiennes. Cette approche, qui me semble intéressante puisqu’elle nous pousse à nous familiariser avec les bienfaits que peuvent nous apporter ces intelligences, est un premier moyen d’atteindre le public afin de lui donner davantage confiance en toutes ces nouveautés.
Voici le lien de plusieurs récits écrits par des groupes de travail dans différents domaines, si vous souhaitez jeter un oeil ! (Le mien n’est visiblement pas encore en ligne, je mettrai à jour cet article si ça change ;)) https://brightmirror.bluenove.com/brightmirror/debate/2
Il est à noter que, si cette confiance est primordiale afin de toucher les patients, elle l’est également dans le monde de entrepreneuriat. Voyons l’importance de convaincre les entreprises d’utiliser les IA !

L’IA dans le domaine de l’entrepreneuriat


C’est un des autres enjeux majeurs des intelligences artificielles : leur utilisation dans le monde professionnel est compétitive. Pour le moment, ces dernières n’ont pas encore pu bien s’implanter dans les entreprises, et ce pour une raison très simple: elles demeurent incomprises. Si l’Etat tente d’apporter sa contribution, comme le souligne Christel Fiorina, directrice de projet à la Direction Générale des entreprises, en participant financièrement à la création de start-up et en encourageant les rencontres entre les différentes entreprises dans un esprit compétitif et sain (avec le Challenge IA par exemple), l’insertion des intelligences artificielles dans le monde des entreprises demeure difficile. Il y a toujours la même problématique qu’avec les patients, mais cette fois-ci à une échelle moindre: il est donc plus facile pour les ingénieurs d’expliquer leur travail à leurs collègues non-initiés qui se serviront des IA.

Ce constat est partagé par Yves Lostanlen, dirigeant de la section européenne de la startup canadienne Element IA. Il estime que si ces intelligences ont fait des progrès phénoménaux au cours de ces dernières années, elles ne sont pourtant utilisées que par 8% des productions. Pourtant, elles peuvent apporter une réelle aide aux entreprises dans la prise de décision, afin de gagner en efficacité. Selon lui, 80% du temps employé est réservé à la partie pré-déploiement, c’est-à-dire pour le traitement de données, alors que la partie post-déploiement représente 95% de la durée de vie de l’IA. Il convient donc de la rendre accessible à tous, en communiquant de manière simple avec les non-initiés qui se serviront de ces outils.

C’est exactement l’un des rôles de Jean-François Goudou, chercheur en IA dans l’entreprise Meero. Au cours de sa conférence, il nous explique les divers obstacles que peuvent rencontrer les ingénieurs pour convaincre leurs collègues de l’importance des IA dans leur entreprise. Selon lui, tout n’est qu’affaire de communication: il faut savoir prévoir les principales objections qui se feront entendre, tout en étant capable d’y répondre. Le premier souci que peuvent rencontrer les équipes de recherche est un manque total de connaissances dans le domaine (par exemple, certaines entreprises leur demandent des intelligences artificielles, sans dire dans quel but … c’est comme demander un tournevis, sans préciser la référence de la vis !).

Vient ensuite alors le temps des fantasmes: l’IA peut tout faire. Il faut donc encore un travail de pédagogie de la part des chercheurs pour expliquer que non, seules certaines tâches précises et définies à l’avance pourront être remplies. La désillusion qui suit doit alors être une nouvelle fois compensée par les ingénieurs, qui finiront par les convaincre une fois l’intelligence artificielle déployée. Tout un programme, digne d’un véritable algorithme d’IA finalement !

Ainsi donc, l’avènement des IA à grande échelle nécessite du temps et de la pédagogie de la part des chercheurs afin de gagner la confiance des entrepreneurs. Et ceci ne peut se faire, selon Yves Lostanlen, sans que de réelles questions éthiques ne soit posées. Il ne s’agit pas uniquement de faire des IA légales, mais bien des IA qui respectent nos valeurs.

L’IA : une affaire d’éthique avant tout


La question de l’éthique est revenue tout au long de la journée, comme vous avez déjà pu le constater dans les deux derniers paragraphes. Transparence, responsabilités : de nombreuses questions sont soulevées. L’Union européenne a même tenté de définir les clés nécessaires à une IA digne de confiance:

Je me permets donc de résumer l’essentiel en terme d’éthique: l’IA n’est qu’un outil, qui doit servir une tâche précise. De fait, parler de responsabilité de celle-ci est un non-sens, dans la mesure où elle n’est pas consciente. Les problèmes éthiques vis-à-vis d’une possible IApocalypse où la machine prend l’ascendant sur l’Homme ne sont donc que des fantasmes de science-fiction, comme l’explique Jean-Gabriel Ganascia. Il s’agit davantage de réfléchir aux questions sur la transparence vis-à-vis des données et de leur utilisation, principal enjeu de l’alliance Canado-européenne dans le domaine de l’IA, ainsi que sur la responsabilité en cas de détournement/dysfonctionnement. Et afin de vous parler de cela, je tiens donc à terminer avec l’excellente pièce du « Procès de la rame de métro n°42 ».

Le principe est simple : un passage à niveau, géré automatiquement par une IA depuis une tour de contrôle, n’a pas indiqué la présence du métro. Une voiture – celle des Cobe – est donc passée, et s’est faite percuter de plein fouet par le métro. A qui revient donc la responsabilité ? Au constructeur de la rame, pour avoir laisser à la rame la possibilité de prendre une décision seule, ou d’accepter des ordres incohérents ? A Utopie Métropole, pour ne pas avoir désactiver la conduite automatique ? Aux Cobe, pour avoir fait confiance aveuglément au passage à niveau au lieu d’utiliser leur bon sens ? (Si ce choix vous paraît absurde, sachez que la procureure a su convaincre une bonne partie d’entre nous qu’ils étaient un minimum responsables de ce qui leur était arrivé !) A la rame de métro même ?

Après avoir entendu tous les arguments, nous, le jury, avons été invités à voter quant à la culpabilité de chacun. Je vous laisse donc voir le verdict:

Nous constatons que la leçon de la journée a été globalement bien apprise: une IA n’est PAS responsable, dans la mesure où elle n’est même pas consciente (bien que notre rame de métro soit la réponse à toutes les questions de l’Univers …). Notons cependant que, pour ceux qui pensent le contraire, ils le pensent franchement, n’hésitant pas à mettre le degré de responsabilité le plus élevé à l’intelligence artificielle. Je vous laisse réfléchir à cette situation, et vous invite à me partager vos ressentis/verdicts par message privé si vous souhaitez en débattre !

Et voilà donc que mon compte-rendu de la Digitaltech Conference touche à sa fin. J’espère que vous aurez pris autant de plaisir à le lire que j’en ai pris lors de cette journée. Je tiens à faire une mention spéciale Elisa Fromont, dont je n’ai pas beaucoup parlé ici, mais qui a fait un très bon travail pour définir les différences entre IA, Apprentissage supervisé et machine learning, qui sera peut-être le sujet d’un futur article ! Mention également Joanie Lemercier pour sa démonstration du lien fort entre la technologie, l’art et le climat (dont je vous parlerai peut-être plus en détails), à Julien Benneteau pour son discours touchant sur la nécessité des défaites pour construire ses plus belles victoires, à Sasha Pas et Vincent de Malherbe de Playtronica pour leur spectacle musical original basé sur des sons de la ville de Rennes, et enfin à Amine Kacete et Xavier Coadic pour leur battle instructive sur la généralisation de la reconnaissance faciale (dont je vous parlerai à coup sûr !). Et un grand merci également Florent Vilbert pour l’accréditation média ayant permis la rédaction de cet article.

Ça y est, c’est terminé, j’espère que vous aurez appris pas mal de choses, que d’autres vous feront réfléchir, mais surtout, que je vous ai donné envie de vous rendre à la prochaine DigitalTech Conference qui aura lieu en décembre 2021. Soyez certains que moi, en tout cas, je serai présent !